vendredi 3 juillet 2015

un été impossible

Un été impossible 

Ma mère qui avance vers son septennat comme bien d’autres grands-mères de son age, s’alphabétise et découvre les bancs d’école. Pour certaines, leurs parents leurs avaient refusées ce privilège et pour d’autres contraintes à quitter tôt pour cause de la guerre et de la misère.

 Elles prennent leurs revanches sur le destin et sur le temps. Les voilà toutes fières, naïves et sereines prendre le chemin de l’école du village ou de nouvelles et jeunes maîtresses à peine sortis des universités, leurs diplômes frais, offrir des cours élémentaires de langue arabe et de calcul à ces novices toutes ébahies enchantées. Cela leur permet de combler leurs oisivetés et d’arrondir leurs fins de mois mais surtout ne pas rester cloîtrées à perpétrer la tradition.

 En bonnes élèves, dans ce plaisir génial , ces vielles femmes studieuses, les affaires soigneusement rangées dans leurs cartables et sacs s’appellent de portes en portes pour former une meute qui s’allonge au fil du chemin pour aller apprendre à lire et à écrire.

 Avant elles s’y connaissaient bien aux corvées d’eau à la fontaine, se querellaient pour quelques seaux d’eau, nourrissaient leurs amours et jalousies, leurs rancunes et leurs alliances en ce lieu sacré dont il ne reste plus l’empreinte. Dans cette agora, on y venait raconter ses peines, ses joies et ses belles manières. On écoutait les nouvelles et les médisances sur une telle ou une autre, sur la bru, la nièce la cousine, on pouvait suivre les grossesses et les naissances, parler de mariages, de répudiation, du temps perdu, des nouvelles de la tribu et son épopée et aussi de la nuit qui fut douce ou longue selon les démêlées ou et la mauvaise destinée.

 Après on demandait à la voisine le tamis pour affiner, le petit oignon pour le souper, le petit bout de ce qu’elle avait à partager de son jardin potager …Elle nous l’offrait le cœur ouvert et le sourire large et profitait pour dire ses espoirs, sa foi, ses haines et méchancetés et parler de bien d’intimités. Le soir, au coin du feu, quelques bûches d’olivier résistent encore pendant que l’ogresse du conte fait allonger le rideau noir d’une nuit peuplée de rêves et de mystères on attendant le même lendemain qu’annonce dès l’aube le chant du coq et le muezzin. Chaque saison cadre à l’unisson son rythme immuable et plat avec l’horloge du temps qui se régénère en floraisons, en divers murmures. Nous y sommes dans un univers ou tout à une âme. Les esprits parlent, protègent et punissent. 

 Mais là au comble de l’aberration du devenir, elles découvrent le nouveau monde, l’univers de leurs petites filles qui ont connu l’école émancipatrice les libérant des esprits malicieux et malveillants, elles se sont affranchies aussi des corvées d’eau et travaux aux champs et mêmes de simples besognes domestiques qui leurs ravissaient leurs temps et salissaient leurs mains de princesses embourgeoisées. 

 Leurs petites filles pouvaient leurs apprendre pleines de choses et s’en prendre aisément aux interdits. Elles profitent de leurs beautés et même la montrer, la clamer, choisir le mari et le quitter s’en allant légère et non encombrée, craquer, à plein dents, la vie jusqu'à en casser. Faire en sorte d’avoir tout sans en donner. Avoir le cœur rien que pour soi et le sourire à la portée. 

 Pourquoi se prendre au sérieux, s’affairer à moudre le grain, à rouler le couscous, à pétrir sa galette, traire sa brebis ou sa chèvre, à couper les cardes à connaître ses noms d’oiseaux chanteurs, de plants et de fleurs ou écouter son coq matinal, ramasser les œufs dans sa basse-cour ou piocher son petit jardin à donner le foin aux bêtes et lever le métier avec ce chant qui vous roue la gorge de transes et complaintes. 

 Que de peines perdues. Après coup, tout se vend et tout est y au marché avec de jolies marques et de noms composés. Il faut juste le sou qui semble être à la portée. Mais à quel prix. Et ma mère en y rentrant des classes n’a plus, désolée, le temps pour ses anciennes absurdités, elle y achète son couscous, son lait, ses cardes, ses œufs et ses oignons, sa couverture, sa robe …Et quand elle se rappelle de sa maîtresse, alors elle ne fait rien .Elle regarde la télé, écoute la radio et laisse le temps passer. Laisser tout passer, pour se rendre à l’évidence qu’il fallait réviser ses leçons pour la prochaine, griffonner quelques lignes et surtout ne pas décevoir. Elle se prépare pour passer en classe supérieure. 

 Elle pense remonter le fil de sa jeunesse tel le burnous sur son métier à tisser qui prends une forme diffuse entre maintes mains et sueurs que la blancheur de la laine fait oublier à lui rendre l’orgueil d’être libre et heureuse. 

 En passant quelques jeunes oisifs contemplent vaguement le décor sans pouvoir y distinguer le passage étroit foulé de cette ruelle jadis poussière recouverte de béton mal façonné d’un gris opiniâtre et fade qui ne renvois à aucune illusion . La pierre lourde imposante cède, ici et là, à la facilité d’un bâti éparpillé ; Ils prennent part à un univers fictif ou tout semble dérisoire, anodin. Les fils écouteurs alimentent les oreilles d’un bourdonnement sans relâche et laissent échapper une impression étrange d’un éveil mal entrepris. D’autres s‘amusent à divaguer sur tout et rien en parlant d’un univers matériel sans cesse renouvelé auquel il n’ont jamais contribué.

 Loin de la djamaa, Les champs en jachères avoisinants, sans intérêt presque imperceptible renvoient leurs tons naturels désolés à l’adresse de ceux qui les ont abandonnés. Ils ne nourrissent aucun discours. 

 Dans ce mouvement d’attente sans espoir se croisent les nouvelles de ceux qui sont partis sans anecdotes ni mémoires à recouvrer. Partir c’est mourir un peu ; La mort a tout emporté dans son gigantesque torrent. Sur les flots qui y sont formés aucun mot sur la continuité. Il ne s’agit plus de dire qui est qui, ni de conter les méandres subtilités d’un vécu dont on ne veut plus écouter. Souffrances à qui en voudra là ou chaque être se crée une identité suffisante à sa misère. 

 Dans cette belle compagne dont le charme se tue, des vents sans noms caressent le feuillage et les herbes folles. Les moineaux et les merles annoncent un été impossible.

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